L’Iran, complètement isolé sur la scène géopolitique face à Israël

L’Iran, complètement isolé sur la scène géopolitique face à Israël
Publié le 23 juin 2025 par Vincent Barret

Malgré que la Chine soit le principal acheteur du pétrole iranien, près de 1,1 à 1,2 million de barils par jour, représentant environ 90 % des exportations iraniennes, achetés à prix cassé, celle-ci est restée complètement silencieuse face aux frappes israéliennes ciblées contre les infrastructures stratégiques de la République islamique.

Ce silence n’est ni un oubli, ni une passivité inattendue : il s’agit en réalité d’un choix stratégique, révélateur des limites du modèle de puissance que Pékin entend incarner dans l’ordre mondial. Si la Chine affiche en façade une volonté de rééquilibrer le système international, son action concrète montre qu’elle n’est pas prête à sacrifier ses autres relations régionales pour défendre Téhéran. L’Iran n’est pour Pékin qu’un partenaire transactionnel, et non un allié stratégique.

L’une des raisons fondamentales de cette prudence réside dans les intérêts profonds et multisectoriels que la Chine entretient avec d’autres grandes puissances régionales, des partenaires bien plus stables, solvables et influents que l’Iran. À commencer par l’Arabie saoudite. Pékin et Riyad entretiennent une relation énergétique prioritaire : l’Arabie saoudite est, depuis plusieurs années, le premier fournisseur de pétrole brut de la Chine, avec plus de 1,7 million de barils par jour.

Ce lien s’est renforcé par des investissements chinois dans des infrastructures de raffinage et des accords de long terme entre Aramco et des entreprises chinoises comme Sinopec. Mais la relation sino-saoudienne va bien au-delà de l’énergie. Des entreprises comme Huawei sont au cœur du projet futuriste NEOM, mégapole à 500 milliards de dollars voulue par Mohammed ben Salmane, notamment sur les volets 5G, IA, mobilité autonome et smart grids.

En outre, des éléments de coopération militaire ont émergé discrètement, notamment la construction supposée d’une usine de production de missiles balistiques avec soutien technologique chinois. Pékin ne sacrifiera pas cette relation stratégique sur l’autel d’un soutien symbolique à l’Iran.

Les Émirats arabes unis représentent une autre pièce maîtresse du jeu régional chinois. Situés à un carrefour logistique, ils sont devenus une plateforme essentielle pour les Nouvelles Routes de la Soie (BRI), via les ports de Jebel Ali ou Khalifa. Les entreprises chinoises y ont investi massivement, à travers COSCO Shipping, China Harbour Engineering ou ZPMC, tout en multipliant les accords dans les transports, l’énergie et le numérique.

Les Émirats sont également devenus un acheteur actif de drones chinois (Wing Loong), tout en confiant à Huawei l’infrastructure 5G malgré les objections américaines. Cette coopération, très complète et discrète, s’étend même au spatial, avec la participation d’Abu Dhabi au programme de station spatiale Tiangong. Là encore, l’Iran ne peut offrir ni la stabilité institutionnelle, ni la visibilité stratégique nécessaire pour rivaliser avec les EAU dans le cœur chinois.

La Turquie constitue un autre partenaire important de la Chine, notamment dans la vision eurasienne d’intégration continentale. Ankara joue un rôle central dans le corridor médian (Middle Corridor) des Routes de la Soie, qui relie la Chine à l’Europe via l’Asie centrale, le Caucase et le Bosphore.

Des investissements chinois sont visibles dans les infrastructures ferroviaires (ligne Ankara-Istanbul), les autoroutes, les ports et les projets énergétiques renouvelables. Des discussions militaires ont également eu lieu par le passé sur des systèmes de missiles (avec CPMIEC) et se poursuivent dans les domaines de la co-conception de drones ou de radars.

Malgré les tensions liées à la question ouïghoure (le Xinjiang étant culturellement turcophone), la Chine a réussi à maintenir un dialogue pragmatique avec Ankara, préférant contenir les sujets irritants pour préserver une coopération stratégique. S’aligner ouvertement avec l’Iran, ennemi déclaré de la Turquie dans plusieurs théâtres régionaux, compromettrait cette dynamique diplomatique que Pékin cherche à préserver.

Même avec Israël, la Chine entretient une relation économique d’une grande densité, bien qu’empreinte de prudence géopolitique. Depuis deux décennies, Pékin investit dans les infrastructures de transport israéliennes, à l’image du terminal portuaire de Haïfa exploité par Shanghai International Port Group, ou encore des projets de tramway à Tel-Aviv.   La Chine veut un lien physique avec l’Occident. A cet égard, les ports israéliens sont un bon outil de stratégie géopolitique.

Mais l’élément central de la coopération sino-israélienne réside dans la technologie de pointe, notamment dans les semi-conducteurs, les capteurs, l’intelligence artificielle, les logiciels embarqués et la cybersécurité.

Israël est une “Silicon Valley du Moyen-Orient”, un écosystème que la Chine veut exploiter à des fins de montée en gamme industrielle. Même si certaines ventes sensibles ont été restreintes sous la pression américaine, Pékin tient à conserver cet accès technologique, tout en ménageant Washington. Soutenir l’Iran de manière trop explicite reviendrait à s’aliéner à la fois Israël et les États-Unis, un calcul que Pékin refuse.

Ainsi, la Chine marche sur des oeufs, cherchant à la fois à ménager ses relations avec Israël et les pays arabes. Alliée de ces derniers pendant la Guerre froide, soutien de la cause palestinienne et des mouvements de libération dans les années 1960 et 1970, la Chine a longtemps refusé d’établir des relations diplomatiques avec Israël.

Cet ostracisme a pris fin en 1992 et les échanges se sont depuis multipliés. Pour la Chine, Israël est un important fournisseur de technologies, lui offrant une alternative face à l’embargo américain sur les semi-conducteurs de pointe.

Plus de la moitié des exportations israéliennes vers la Chine sont des composants électroniques, notamment des puces, selon une étude de l’Institut d’études sur la sécurité nationale de l’Université de Tel Aviv.

À ce titre, les échanges bilatéraux sont passés de 51 millions de dollars en 1992, début des relations diplomatiques, à 14 milliards en 2018. L’enjeu est technologique, à travers leurs investissements dans des sociétés israéliennes, et plus particulièrement des start-up, l’implantation de centres R&D, la participation dans plusieurs gros chantiers d’infrastructures, et la coopération scientifique universitaire. 

Aujourd’hui, nombre de grandes entreprises chinoises (Lenovo, Fosun, Xiaomi, Baidu, Huawei, Haier, Alibaba) ont installé un centre de R & D en Israël. En 2018, le fondateur d’Alibaba, Jack Ma, y a fait deux visites. Cela a donné un nouveau signal au monde d’affaires chinois qui continue d’investir dans une myriade de start-up de la high-tech israélienne.

En 2019, Huawei s’est notamment lancé dans l’énergie solaire et Shenzhen Hifuture Information Technology a injecté 50 millions de dollars dans Xjet, société d’impression en 3D de métal et céramique. Les entreprises chinoises ont également pris des participations dans des sociétés israéliennes de premier plan : celle de la China National Chemical Corporation dans Makhteshim, spécialiste d’engrais, est l’une des premières (2011) et des plus importantes (3,8 milliards de dollars) et celle de Bright Food dans Tnouva, en 2015, l’une des plus symboliques.

Alors, la Chine est devenue un partenaire prioritaire voire stratégique pour Israël et les Etats-Unis ne pourront rien y changer. Certains ingénieurs israéliens qui travaillaient dans des centres de R & D d’entreprises américaines travaillent désormais pour leurs équivalents chinois.

Avant la crise du coronavirus, Edouard Cukierman, président de Cukierman & Co. Investment House, ne constatait « aucune baisse d’activité entre Israéliens et Chinois. Il n’y a que trois domaines réservés où le gouvernement peut bloquer un contrat : la défense, les télécoms, les services financiers, banque et assurance. Tout le reste relève de la liberté d’entreprendre.

Et puis, les hommes politiques israéliens ont souvent été favorables à la Chine. Dans les années 1930, David Ben Gourion et Moshe Sharett étaient déjà convaincus que la Chine s’éveillerait et que l’Occident ne serait pas éternellement le maître du monde. En 1949, le jeune Etat hébreu fut l’un des premiers pays à reconnaître la République populaire de Chine. Responsables israéliens et chinois aiment à souligner que leurs civilisations sont toutes deux plurimillénaires.

Dans ce contexte, la Chine adopte une stratégie d’équilibre froid : elle entretient des relations économiques solides avec presque tous les rivaux régionaux, tout en évitant de s’engager politiquement ou militairement. Ce choix renforce sa position comme puissance commerciale incontournable, mais affaiblit sa crédibilité comme acteur stratégique capable de soutenir ses partenaires dans les moments critiques.

En refusant de soutenir l’Iran, Pékin démontre qu’elle privilégie la stabilité de ses relations avec les autres puissances du Golfe et du Levant, plutôt que la fidélité à un régime isolé sous sanctions.

Ce retrait diplomatique et sécuritaire reflète les limites du modèle chinois de puissance, fondé sur la non-ingérence, l’interdépendance économique et la neutralité tactique. Contrairement aux États-Unis, qui disposent d’un réseau d’alliances militaires et de bases régionales leur permettant de projeter leur puissance, la Chine n’a ni les moyens, ni l’intention pour l’instant de jouer un tel rôle.

Sa seule base régionale est à Djibouti, et son armée n’a pas d’expérience en matière d’opérations extérieures dans des théâtres aussi instables que le Moyen-Orient. En somme, la Chine dénonce l’unilatéralisme américain tout en s’en accommodant, car elle ne souhaite pas, ou ne peut pas, réellement le concurrencer sur le plan sécuritaire.

Cette position prudente, presque passive, laisse l’Iran seul face à Israël, dont la supériorité militaire est renforcée par un soutien tacite mais décisif des États-Unis. Pékin, malgré ses ambitions déclarées de remodeler l’ordre mondial, se contente d’un activisme diplomatique de façade, sans engagement opérationnel.

Ce retrait revient à laisser aux Etats-Unis le rôle primordial que la Chine leur conteste pourtant. Il y a une forme d’activisme diplomatique de la Chine en façade, mais derrière il n’y a pas grand-chose. L’interventionnisme ne fait pas pour l’instant partie de la conception de la puissance qu’ont les Chinois, parce qu’ils pensent qu’ils auraient beaucoup à perdre à s’engager dans une crise, qui plus est sur un sujet aussi complexe.

Mais Pékin ne souhaite pas trop s’avancer, tant pour préserver la qualité des relations avec le reste de la région et le respect des normes de non-prolifération que pour éviter d’ajouter aux contentieux avec les Etats-Unis, ce qui différencie grandement l’aide apportée à l’Iran de l’équipement complet, avions de chasse, missiles, radars, fourni par la Chine au Pakistan.

Restant ainsi en retrait tout en dénonçant les travers d’un monde américano-centré, la Chine ne peut que constater les limites de son propre modèle de puissance.

Ce choix stratégique révèle une vérité : la Chine, pour l’instant, n’a pas de véritables alliés au Moyen-Orient, mais seulement des partenaires commerciaux. Ce qui, en cas de crise, limite profondément son pouvoir d’influence.

On voit également le même sujet pour la Russie, de fait, l’Iran a aidé le Kremlin avec des drones en lui fournissant des drones kamikazes Shahed-131 et Shahed-136, qui ont permis de compenser les lacunes industrielles de Moscou face à l’attrition militaire. Ce transfert de technologie s’est accompagné de coopérations croisées en matière de munitions, d’armements terrestres et de drones à longue portée, parfois même produits sur le sol russe.  

En effet, l’Iran a aidé Moscou à construire une usine essentielle pour fabriquer des drones dans son pays et a signé un nouveau traité de partenariat stratégique cette année avec Poutine, annonçant des liens plus étroits, y compris dans le domaine de la défense.

Mais cinq mois après la signature de ce traité, le gouvernement iranien est confronté à une grave menace pour son règne en raison des attaques d’Israël. Et la Russie, au-delà des appels téléphoniques et des déclarations de condamnation, est introuvable.

Les installations nucléaires et énergétiques iraniennes ont été endommagées et de nombreux hauts dirigeants militaires du pays tués, dans une vaste offensive israélienne qui a commencé vendredi et s’est étendue depuis, sans aucun signe que Moscou viendra en aide à Téhéran.

Ce retrait diplomatique contraste avec l’image d’un axe Moscou-Téhéran resserré, notamment depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Loin de constituer une véritable alliance militaire, le partenariat russo-iranien est, en réalité, asymétrique, circonstanciel et tactique, fondé davantage sur la convergence d’intérêts contre l’Occident que sur une solidarité géopolitique réelle.

La situation reflète un calcul politique impartial de Moscou, qui donne la priorité à sa propre guerre contre l’Ukraine, ainsi qu’à son besoin de maintenir des relations chaleureuses avec d’autres partenaires au Moyen-Orient, qui ont aidé Moscou à survivre aux sanctions économiques occidentales.

De plus, Poutine ne veut pas que l’Iran ait des armes nucléaires et veut également continuer à améliorer ses relations avec le président Trump. Qui plus est, la Russie bénéficie également d’une flambée des prix du pétrole depuis le début de l’attaque.

En plus de cela, sur le théâtre moyen-oriental, la Russie n’a aucun intérêt à entrer en confrontation directe avec Israël, puissance régionale dotée de capacités militaires et de renseignement redoutables. Depuis l’intervention militaire de Moscou en Syrie en 2015, les deux pays ont mis en place un mécanisme de déconfliction militaire permanent, permettant à Israël de frapper des positions iraniennes et du Hezbollah en Syrie sans provoquer de riposte russe. Cette coordination tacite mais régulière est une ligne rouge que Moscou ne veut pas franchir, de peur de déclencher un conflit ouvert dans une région qu’elle cherche à stabiliser selon ses propres intérêts.

Il faut rappeler que la Russie et Israël entretiennent des liens diplomatiques et économiques complexes, mais réels. Plus d’un million d’Israéliens sont d’origine russe, et les deux pays coopèrent dans les domaines de la cybersécurité, de l’agriculture, de la médecine et des technologies civiles.

Moscou souhaite maintenir ce canal ouvert, notamment dans le contexte où elle est de plus en plus isolée sur la scène occidentale. Soutenir trop ouvertement l’Iran, en particulier dans des opérations contre Israël risquerait de remettre en cause l’équilibre délicat que la Russie maintient en Syrie, et plus largement dans le Levant.

La Russie est aussi consciente que l’Iran ne constitue pas un partenaire parfaitement aligné. Si les deux régimes convergent dans leur opposition à l’Occident et leur critique de l’ordre international, ils poursuivent des agendas parfois divergents au Moyen-Orient. L’Iran vise l’hégémonie chiite régionale via ses réseaux au Liban, en Irak, au Yémen et en Syrie, tandis que Moscou cherche plutôt à stabiliser les régimes en place, même autoritaires, sans nécessairement favoriser l’expansion idéologique iranienne.

Par conséquent, il est peu probable que Poutine s’implique militairement dans le conflit ou qu’il arme Téhéran de manière trop agressive. Cette prudence découle aussi en partie de la crainte de s’aliéner les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, deux partenaires de plus en plus importants pour Moscou qui n’accueilleraient pas un Iran plus puissant. Mais c’est aussi parce que ses forces sont déjà bloquées en Ukraine.

La Russie entretient depuis longtemps des relations solides avec l’Iran, devenant le plus grand investisseur étranger du pays l’année dernière. Il a fourni des armes à l’Iran pendant des années, mais n’a pas fourni la gamme complète d’armes que Téhéran veut.

« L’Iran demande des armes à la Russie depuis quelques années », a déclaré Nikita Smagin « Il a demandé des avions, des systèmes de défense aérienne. La Russie n’a pratiquement rien donné. »

Aujourd’hui, l’Iran a du mal à se défendre.

« Dans l’ensemble, cela conduit bien sûr à l’affaiblissement des positions de la Russie au Moyen-Orient », a déclaré Nikita Smagin, un expert des relations russo-iraniennes.

Ce retrait dans un moment critique souligne une vérité fondamentale : l’Iran est seul. Même ses partenaires les plus proches, la Chine et la Russien ne sont pas prêts à mettre en péril leurs propres équilibres géopolitiques pour le défendre. L’axe anti-occidental formé par Moscou et Téhéran, bien que puissant en apparence, repose sur une solidarité conditionnelle, non inconditionnelle.

Dans un monde multipolaire encore dominé par la supériorité militaire américaine et le parapluie stratégique israélo-occidental au Moyen-Orient, ni la Chine ni la Russie ne sont aujourd’hui capables, ni désireuses, de briser cette architecture par une action directe.

En somme, l’inaction de la Russie face à l’affaiblissement iranien n’est pas une surprise, mais une démonstration des limites structurelles du camp révisionniste. Elle rappelle que la puissance ne se mesure pas seulement à la rhétorique ou aux alliances tactiques, mais à la capacité à protéger ses partenaires dans les moments critiques, ce que Moscou, pour l’instant, n’est pas en position de faire.

L’Iran, isolé, reste un pivot stratégique vulnérable, dont la résilience repose davantage sur ses capacités asymétriques que sur un quelconque soutien international solide.