McKinsey en France : entre influence et controverse
Présent en France depuis plus d’un demi-siècle, McKinsey & Company n’est plus un simple cabinet de conseil stratégique : c’est un acteur d’influence économique, publique et politique. Son empreinte dépasse le monde des entreprises pour toucher celui de l’État, des start-ups et même de la société civile.
Mais derrière cette réussite, une question s’impose : comment McKinsey adapte-t-il son modèle global au marché français, marqué par la méfiance envers les élites et les consultants ?
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L’acteur clé
Mckinsey & Company est la plus grande entreprise de conseil en stratégie dans le monde. Celle-ci a été créée en 1926 à Chicago par James Oscar Mckinsey qui était autrefois professeur de comptabilité à Chicago.
Rien n’indiquait que ce dernier allait créer la plus grande entreprise de conseil au monde. En l’espace de quelques années, Marvin Bower fait du conseil en management un véritable métier et lui donne ses lettres de noblesse. C’est lui qui fera du cabinet une organisation d’envergure mondiale.
Un modèle forgé à l’international, affiné à Paris
Depuis son arrivée à Paris en 1964, McKinsey a tissé un réseau solide autour des grands groupes français de la finance à l’énergie, en passant par la santé et les services publics. Son bureau parisien, l’un des plus importants d’Europe continentale, s’est transformé ces dernières années en véritable laboratoire de transformation.
Le “Paris Experience Studio”, inauguré en 2018, incarne cette mutation. Ce hub d’innovation, installé près de la place de l’Étoile, réunit designers, data scientists et consultants stratégiques pour accompagner la digitalisation des entreprises françaises. L’idée : ne plus seulement conseiller, mais co-créer les transformations.
Dans le jargon McKinsey, on parle désormais de “capability building” : transmettre les compétences nécessaires pour rendre le client autonome. Une façon subtile de répondre aux critiques récurrentes contre les cabinets jugés trop “hors-sol”.
Une stratégie en trois axes : global, local, sociétal
1. Un réseau mondial
McKinsey joue sur son principal atout : sa capacité à mobiliser en quelques jours des experts de Singapour, New York ou Londres pour un projet mené à Paris. Ce levier “glocal” global et local est au cœur de sa promesse de valeur : offrir une expertise mondiale, adaptée aux spécificités françaises.
Les secteurs les plus représentés sont les services financiers (Allianz, AXA, Crédit Agricole), la santé/pharma (GSK plc, Sanofi, Sanofi Pasteur), le private equity (Ardian, Eurazeo) et l’énergie/environnement (General Electric, TotalEnergies).
L’exemple d’Atos illustre cette logique de réseau global : un client français qui contribue aussi aux revenus de McKinsey en Inde et en Israël.
Le géant français du numérique a en effet contribué aux revenus du cabinet à hauteur de 5 à 10 % soit, potentiellement, 22 à 45 millions d’euros minimum d’avril 2022 à mars 2023 et de novembre 2022 à octobre 2023. Il s’agit là uniquement des revenus pour les bureaux français alors que, sur la même période, le groupe apparaît également comme l’un des plus gros contributeurs dans deux autres pays, l’Inde et Israël (1 à 5 % du chiffre d’affaires local). Le départ de Rodolphe Belmer, éphémère CEO de l’ESN française jusqu’en juillet 2022 et alumnus du cabinet, n’a donc pas éteint les dépenses de conseil.
Quant aux acteurs français du luxe, seul Kering remonte dans ces déclarations. LVMH, Hermès et Pernod-Ricard n’y figurent donc pas contrairement à leurs concurrents Richemont, Bacardi ou Ferrari…
2. La proximité avec les décideurs
En France, le cabinet revendique un rôle de “partenaire stratégique” des institutions publiques et privées. Il a notamment travaillé sur des politiques industrielles, des plans de transformation digitale de ministères ou encore des stratégies RSE de grands groupes. Une présence qui nourrit son image d’acteur incontournable… mais aussi les critiques de connivence avec le pouvoir.

McKinsey est au cœur de trois enquêtes judiciaires en France : une sur des soupçons de « blanchiment aggravé de fraude fiscale », une autre sur l’attribution de contrats publics et une autre sur le rôle de McKinsey lors des élections présidentielles de 2017 et de 2022.
À la suite de cette affaire, le président de la commission d’enquête sénatoriale, Arnaud Bazin, et la rapporteuse, Éliane Assassi, ont estimé que les révélations du documentaire de Cash Investigation datant du 18 septembre 2024, confirmaient « les constats alarmants » issus de leurs travaux. « Ces dérives doivent cesser. Cet enjeu dépasse le seul cas de McKinsey et appelle des mesures fortes », ont-ils déclaré. Les deux parlementaires ont également rappelé qu’il revient désormais à l’Assemblée nationale de reprendre leur proposition de loi. « La navette parlementaire est déjà bien avancée : l’Assemblée nationale a aujourd’hui l’occasion d’adopter définitivement ce texte afin qu’il devienne une loi de la République. »
3. Un engagement sociétal
Sous la pression du contexte français où la responsabilité sociale est un critère majeur de réputation McKinsey met désormais en avant ses initiatives sur la diversité, la formation et la transition énergétique. En 2022, le cabinet a lancé plusieurs programmes de mentorat pour les jeunes issus de milieux modestes, tout en accompagnant des clients sur leur trajectoire “net-zéro”.
Le virage du digital : innovation ou repositionnement ?
Depuis cinq ans, la stratégie de McKinsey en France s’appuie sur un axe prioritaire : la transformation numérique. Le marché du conseil IT et data pèse aujourd’hui plus de 6 milliards d’euros dans l’Hexagone, et McKinsey entend bien en capter une part significative.
Ses consultants combinent désormais stratégie, technologie et analyse de données. L’objectif : aider les entreprises à basculer vers des modèles “data-driven”. Le studio parisien joue un rôle clé dans cette approche intégrée : on y teste des prototypes, on forme les équipes clients, on mesure les gains d’efficacité.
Mais cette orientation digitale n’est pas seulement un moteur de croissance. Elle sert aussi à repositionner McKinsey face à une concurrence plus agile Accenture, BCG, Bain ou encore Capgemini Invent. Dans un marché saturé, l’innovation devient autant un produit qu’un argument de crédibilité.
Une influence qui interroge
En 2022, McKinsey s’est retrouvé au cœur d’une tempête médiatique après les révélations sur son rôle dans plusieurs missions publiques, notamment durant la crise sanitaire et sur la réforme de l’éducation. L’“affaire McKinsey” a braqué les projecteurs sur le recours massif de l’État français aux cabinets de conseil.
Le Sénat a pointé un manque de transparence et des soupçons d’optimisation fiscale. Si aucune infraction n’a été juridiquement établie, le coup porté à la réputation du cabinet a été réel. Pour la première fois, McKinsey a dû adopter une posture défensive, communiquant davantage sur son impact, sa gouvernance et ses engagements sociétaux.
Cette crise a agi comme un électrochoc : le cabinet a revu sa stratégie de communication en France, jusque-là quasi inexistante. Depuis, McKinsey s’efforce de montrer un visage plus ouvert, plus pédagogique, plus local.
Le cabinet conseil tant convoité fait depuis longtemps l’objet de beaucoup de critiques pour son implication auprès des gouvernements. C’est également lors de la crise sanitaire du covid 19 que Mckinsey se retrouve encore une fois impliqué, il faut savoir que ce dernier a réalisé des dépenses stupéfiantes allant jusqu’à 1 million de livres sterling par jour sur des consultants privés pour le service de test et de traçage du Covid-19 au Royaume-Uni, ou les 10,7 millions d’euros de contrats payés à McKinsey par le gouvernement français lors de la même crise.
L’implication de McKinsey & Company dans la crise des opioïdes illustre parfaitement les risques de conflits d’intérêts. Le cabinet a en effet conseillé à la fois des fabricants d’opioïdes, tels que Purdue Pharma, et la Food and Drug Administration (FDA) américaine, chargée de réguler ce marché. Une enquête menée par la Chambre des représentants des États-Unis a révélé que McKinsey n’avait pas signalé ces conflits pendant plus de dix ans, affectant ainsi 37 contrats conclus avec la FDA pour un montant supérieur à 65 millions de dollars.
L’enquête sur la dépendance excessive du gouvernement français à McKinsey a conduit à un rapport du Sénat et, finalement, à un scandale surnommé « McKinsey Gate ». Le 18 septembre 2024, la journaliste Elise Lucet a mis la question à l’avant-plan avec son émission d’investigation télévisée Cash Investigation. L’épisode portait sur les liens de McKinsey avec la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron en 2017, aux côtés d’allégations de fraude et d’évasion fiscale.
Comme l’épisode de Cash Investigation l’a révélé, les relations de Karim Tadjeddine avec le parti de Macron ont permis à McKinsey d’établir une forte présence au sein du processus décisionnel gouvernemental. Cela a non seulement fait progresser la carrière de Tadjeddine, mais a également mis en évidence un conflit plus profond où les consultants établissent des relations ou s’alignent avec des réseaux clés pour obtenir des contrats futurs, des primes ou d’autres récompenses. Une voie commune pour de tels conflits est leur travail pro bono, que Cash Investigation a présenté comme un outil utilisé par Tadjeddine pour forger des liens qui ont ensuite conduit à des contrats rentables.
Si Cash Investigation n’a pas évoqué ces contrats croisés, il est probable que des situations similaires existent en France. Le double rôle de McKinsey auprès de clients publics et privés y suscite d’ailleurs des inquiétudes. Selon le Sénat français, les consultants qui conseillent l’État sont légalement tenus de déclarer leurs éventuels conflits d’intérêts une obligation que McKinsey n’a, dans la majorité des cas, pas respectée.
Bien que l’épisode ait suscité plus de sourcils, les consultants qui ont pris le temps de le regarder n’étaient pas vraiment impressionnés. « Nul », a déclaré un ancien expert en stratégie sur les réseaux sociaux. Pour les consultants, la critique du documentaire entourant le financement de la campagne présidentielle de Macron en 2017 reste limitée à sa relation avec Karim Tadjeddine, l’associé de McKinsey qui a géré le travail de l’entreprise avec le gouvernement français. De même, les accusations de fraude et d’évasion fiscale ont été considérées comme des questions limitées aux pratiques financières d’entreprise de McKinsey, plutôt que quelque chose qui impliquait des consultants individuels.
Les défis d’un géant dans un marché méfiant
Malgré son prestige, McKinsey affronte un environnement complexe.
Le marché français du conseil est très concurrentiel : les clients, mieux informés, exigent plus de transparence et de résultats concrets. La question du “prix du conseil” devient centrale, surtout dans le secteur public.
Un autre défi auquel est confrontée la firme est la culture française. L’approche très structurée et anglo-saxonne de McKinsey peut parfois heurter un management plus intuitif ou politique. Pour réussir, le cabinet doit sans cesse traduire ses modèles internationaux en langage français au sens culturel du terme.
Enfin, McKinsey doit aussi faire face à une transformation interne. La guerre des talents dans le conseil est féroce : attirer et retenir les meilleurs profils digitaux, scientifiques et créatifs devient une priorité.
Une stratégie d’avenir : consolider, humaniser, transformer
Pour les prochaines années, McKinsey France semble miser sur trois leviers :
- La consolidation de son ancrage local, cela lui permettra de renforcer les partenariats avec les institutions françaises, les écoles et les écosystèmes d’innovation.
- Investir sur l’Humanisation de sa marque, en sortant de l’image froide du “cabinet des élites” pour valoriser les impacts concrets de ses missions.
- Transformation de l’intérieur, en intégrant la durabilité, l’inclusion et l’éthique au cœur de ses offres de conseil.
L’objectif n’est plus seulement d’être un acteur performant, mais un acteur légitime dans un marché où la performance sans transparence ne suffit plus.
En conclusion
McKinsey en France, c’est l’histoire d’une puissance mondiale qui apprend à composer avec les paradoxes français : admiration pour l’expertise, mais méfiance envers les symboles du pouvoir.
Son avenir dépendra de sa capacité à conjuguer rigueur analytique et responsabilité sociale, efficacité économique et transparence publique.
Sources :
- France TV : Affaire McKinsey : on vous résume les révélations de « Cash Investigation » sur le rôle du cabinet de conseil dans la campagne présidentielle 2017 d’Emmanuel Macron
- The conversation : What France’s ‘McKinsey Gate’ scandal revealed about the four major types of consulting’s conflicts of interests
- Public Sénat : Une nouvelle enquête sur le cabinet McKinsey et ses liens avec Emmanuel Macron, en écho aux travaux du Sénat – Public Sénat
- RFI : Scandale McKinsey: enquête ouverte en France pour blanchiment aggravé de fraude fiscale